271v

[271va] Perriere1, et tous deux sages hommes pour gouverner gens d’armes et mener un ost a son devoira. Si se departirent de Connimbres et de la environ ou ilz estoient logiez et prindrent le chemin de La Ca­basse2, c’est a la Juberote3, et chemi­nerent tout doulcementb a l’aise de leur corps et de leurs chevaulx pour les grans pourveances qui les suivoient, et avoient chevaucheurs devant qui advisoient le contenementc du roy de Castille, ne comment il se vouloit maintenir. Encores n’estoit pas venu en la compaignied du roy de Portingal messire Jehan Ferrant Percek, mais se tenoit en garnison ou chastel d’Orench4 a cinq lieues de Juberote, et croy que il ne savoit point que on se deust combatre.

« Jee suppose assez que le roy de Castille fu enfourmez du roy de Portingal qui s’en venoit a puissance sur lui. Et quant il sçut que nous es­tions aux champs, il en ot grant joie et aussi orent toutes ses gens, si comme ilz le monstrerent, car ilz lui conseillierent a chevauchier(ent)f contre nous et nous venir combatre. Et par especial li Gascon de Berne qui la estoient nous desiroient trop fort a combatre et demanderent a avoir la premiere bataille, et ilz l’eurent. Et bien nous avoit dit messire Guillaume de Montferrant, Gascon, qui estoit la atout .xl. lances,

« “Soiez tout asseursg d’avoir la bataille, puisque vous avez les Bernés5 a l’encontre de vous, car ilz ne desirent autre chose.”

« Le roy, dont la bataille fu a l’endemain, vint gesirh au chastel de Lerie6, a deux lieues de La Cabasse, a Juberotei, et le lendemain nous ve­nismes a La Cabasse, et la nous logeasmes, et le roy de Castille se logea ce soir a une petite lieue de Juberote, que nous feusmes logiez a Lerie, car bien savoit par [271vb] ses chevaucheurs quel chemin nous prendrions, et que nous nous loge­rions a Juberote.

« Monseigneurj, je vous di que les Portinga­lois ont eu tousjours grandement en toute grace de Dieu leur confiancek, et en bonne fortune pour eulx en celle place de Juberote, et pour ce s’i arresterent ilz encores a celle fois.

– Or me dictes la raison, ce dist le duc.

– Volentiers, Monseigneur, dist Laurencien Fougasse. Anciennement le grant roy Charlemaine qui fu roy de France et d’Alemaigne et emperiere de Romme, et le quel fu en son temps si grant conquereur, desconfist a Juberote .vij. roys mes­creans, et y ot bien mors cent mille mescreansl, et ce treuve l’[o]n et scet on bien par les anciennes croniquesm 7, par celle bataille il conquist Connimbres et tout Portingal et le mist en la foy crestienne. Et pour la cause de la grant victoire et belle que il ot sur les ennemis de Dieu, il fist la faire et esdifier une abbaye qui est de noirs moines8, et les rentan bien en Castille et en Portingal tant que ilz s’en contenterent. Encores plus, Monseigneur, il puet bien avoir environ .cc. ans que la ot, et en celle meisme place, une tres belle journee un seigneur pour ce temps de Portin­gal qui estoit frere du roy de Castille, ne onques en devant ce en Portingal n’avoit eu royo, mais appel­loit on le conte de Portingal9. Advint que cilz deux freres, le roy de Castille et le conte de Portin­gal, eurent guerre mortele ensemble pour departe­ment de terres, et tant qu’on n’y trouvoit nulle paix fors que la bataille, car la chose touchoit tant a ce conte et aux Portingalois que ilz avoient plus chier a

  1. Alvaro Pereira, frère de Nuño Alvares.
  2. Alcobaça.
  3. Aljubarrota.
  4. Ourem.
  5. Les Béarnais.
  6. Leiria.
  7. Ce compliment décerné par Fogaça aux chroniques et aux chroniqueurs ne peut passer inaperçu du lecteur…
  8. Bénédictins.
  9. Cf. SHF XII, p. lxv, n4 : « Il s’agit ici d’Alfonse le Con­quérant, fils d’Henri de Bourgogne et de l’infante Thérèse, fille du roi de Castille Alfonse VI. Ce dernier avait donné à son gendre le pays entre Minho et le Tage. D’abord comte de Portugal, après la mort de son père, Alfonse le Conquérant, à la suite de différends avec la Castille et de victoires rem­portées sur les Maures, fut proclamé roi par ses troupes à Ourique en 1139 ».