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[205ra]

La princesse tiroit a ce que oultreement et plainement le dona que elle demandoit le conte de Fois li donnast, et le conte, qui sage et soubtil estoit, et qui en ses besoignes assez cler veoit, et qui espoir de la quitanceb du conte d’Armignac se doubtoit, son propos tenoit et disoitc:

« Madame, a un povre chevalier que je sui, qui esdifie villes et chasteaulx, le don que vous accorde doit bien souffire. »

Onques la princesse n’en pot autre chose attraired, et quant elle vit ce [elle dist]e:

« Conte de Fois, je vous demande et prie quef vous faciez grace au conte d’Armignac.

– Madame, respondi le conte, a vostre priere doy je bien descendre. Je vous ay dit que le don que vous me demandez, se il n’est plus grant de cinquante mille fransg, je le vous accorde, et le conte d’Armignac me doith deux cens et cinquante mil frans. A la vostre requeste et prierei, je vous en donne les cinquantej millek. »

Ainsi demoura la chose en tel estat, et gaigna le conte d’Armignac a la priere de la princessel d’Acquittaine cinquante mille fransm. Si retourna le conte de Fois en son païs, quant il ot esté trois jours delez le prince et la princesse d’Acquittainen.

 

§ 6.

Comment la garnison de (la) Lourde guerroioit le païs de Bigorre, et de la prise de Ortingaso 1.

Jep sire Jehan Froissart fayq narracionr de ces besoignes pour la causes de ce que, quantt je fus en la conté de Fois et de Berne, je passay parmi la terre de Bigorreu. Si enquisv et demanday de toutes nouvelles passees desquelles je n’estoie point enformez. Et me fu dit que, le prince de Galles et d’Acquittaine sejournans a Tharbew, il lui prinstx volenté et plaisance d’aler veoir le chastel de Lourdey, qui sietz a trois lieues pres [205rb] de la, entre les montaignesaa.

Quant il fu venu jusques a Lourdeab, et il ot bienac advisé et ymaginé la villead, le chastel et le paÿs, si le recommanda moult grandementae, tant pour la force du lieu queaf pource queag Lourde siet sur frontiereah de pluseurs païs, car ceulx de Lourde peventai courir moult avant ou royaume d’Arragon et jusques en Casteloigne et Basselonneaj 2. Si ap­pella tantostak le prince un chevalier de son hostel ouquelal il avoit grant fiance et qui loyaument l’avoit servy. Et le chevalier estoit nomméam messire Pierre Ernault de Bernean 3, appert homme d’armes durement et cousinao du conteap de Fois.

« Messire Pierreaq, dist le prince, a ma venue en ce païs je vous instituear et fay chastellain et capitaine de Lourde et regardas du païs de Bigorre. Or gardezat telement le chastel que vous en puis­siez rendre bon compte a monseigneur mon pereau 4 et a moy.

– Monseigneur, dist li chevaliers, volentiers. »

La lui en fist il foyav et hommaige, et le princeaw l’en mist en possessionax.

Or savez vous que, quantay la guerre se renou­vellaaz entre le roy de France5 et le roy d’Angle­terre, si commeba il est cy dessus contenu en ceste histoire, ainsi comme le contebb Guy de Saint Pol6 et messire Hue de Chastillonbc 7, maistre des arbalestriers pour le tempsbd, saisirent et prindrentbe de fait la ville d’Abbeville et tout le païs de Pontieu8, deux grans baronsbf de Bigorre, lesquelz sont ou estoient nommez messirebg Monnantbh de Barbesen9 et le sirebi d’Auchin10, se tournerent françoisbj 11 et se saisirent aussi de la cité, de la ville et du chastel de Tharbebk, car ilz estoient foible­ment gardez pour le roybl d’Angle­terre.

Or demoura le chastel de Lourdebm a mes­sirebn Pierre Ernault de Berne, le quel ne l’eust rendu pour nul avoir, mais fist tant guerres grandes et fortesbo a l’encontre du royaume de France,

 

  1. Artigat, arrondissement de Pamiers, canton Le Fossat (Ariège).
  2. Barcelone, ville portuaire, capitale de la Catalogne (Es­pagne).
  3. Perarnaut ou Pierre-Arnaut de Béarn, seigneur d’Esgouar­rebaque (Bas-ses Pyrénées, arr. Oloron), bâtard de la maison de Béarn (fils illégitime de Pey de Béarn, bâtard de Gaston II de Béarn) et cousin du comte de Foix ; capitaine de Lourdes.
  4. Édouard III, roi d’Angleterre. Voir W. Mark Ormrod, Edward III, Yale (New Haven et Londres, 2011).
  5. Charles V (1364-1380). Voir F. Autrand, Charles V, Fa­yard (Paris, 1994).
  6. Guy, comte de Saint-Pol, qui était à ce moment-là (1369) lieutenant du roi dans les marches de Picardie.
  7. Hugues de Châtillon, maître des arbalétriers, actif dans la guerre contre les Anglais, surtout dans le nord de la France.
  8. Comté de Ponthieu.
  9. Monaut de Barbazan.
  10. Bon IV, seigneur d’Antin (Hautes-Pyrénées), capitaine de Lourdes.
  11. Se soumirent à la couronne de France.