216r

[216ra] mais je vous di que, tant que je vive, ja le chastel de Lourde je ne rendray, fors a mon naturel seigneur le roy d’Angleterre. Et vueil, Jehan beau frere, ou cas que je vous establis ycy a estre mon lieute­nant, que vous me jurez sur vostre foy et par vostre gentillesce que le chastel, en la fourme et maniere que je le tieng, vous le tenrez, ne pour mort ne pour vie ja vous jamaiz n’en defauldreza.”

« Jehan de Berne le jura ainsi. Adonc se departi de Lourde le chevalier messire Pierre Er­nault, et vint a Ortais et descendi a l’ostel a la Lune, et quant il sceut que point et temps fu, il vint ou chastel d’Ortais devers le conte, qui le reçut liement et le fist seoir a sa table, et lui monstra tous les beaux semblans d’amour1 qu’il pot. Et aprés disner il lui dist :

« “Pierre, je ay a parler a vous de pluseurs choses, si ne vueil pas que vous partez sans mon congié.”

« Le chevalier respondi :

« “Monseigneur, volentiers. Je ne partiray point, si l’arez ordonnéb.”

« Advint que le tiers jour aprés ce qu’il fu venuz, le conte de Foiz prinst la parole a lui, present le viconte de Bruniquiel2 et le viconte de Gonsserant3 son frerec, et le seigneur d’Auchin de Bigorre et autres chevaliers et escuiers, et lui dist en hault, que tous l’oïrent :

« “Pierre, je vous ay mandé et vous estes venu. Sachiez que monseigneur d’Anjou me veult grant mal pour la garnison de Lourde que vous tenez, et pres en a estéd ma terre courue, se ce n’eussent esté aucuns bons amis que je ay eu en sa chevauchie. Et est sa parole, et l’oppinion de pluseurs de sa compaignie qui me heent, disans que je vous soustien pour tant que vous estes de Berne. Et je n’ay que faire d’avoir la malvueillance de si hault prince comme monseigneur d’Anjou est. Si vous commande, en tant [216rb] commee vous vous pouez meffaire encontre moy, et par la foy et lignagef que vous me devez, que le chastel de Lourde vous me rendez.”

« Et quant le chevalier oÿ ceste parole, si fu tout es[b]ahisg 4, et pensa un petit pour savoir quele chose il respondroit, carh il veoit bien que le conte de Fois parloit a certes. Toutefois, tout pen­sé et consideréi, il dist :

« “Monseigneur, voirement je vous doy foy et linaigej, car je sui un povre chevalier de vostre sanc et de vostre terre, mais le chastel de Lourde ne vous rendray je ja. Vousk m’avez mandé, si pouez faire de moy ce qu’il vous plaira. Je le tieng du roy d’Angleterre qui m’y a mis et establi, et a personne qui soit je ne le rendray, fors a lui.”

« Quant le conte de Fois oÿ ceste response, si li mua le sanc en felonnie et en courrouxl, et dist en tirant hors une dague :

« “Hoo ! traïtre, as tu dit que nonm? Par ceste teste tu ne l’as pas dit pour neant.”

« Adonc feri il de sa dague sur le chevalier par tele maniere que il le navra moult villainement en cinq lieux, ne il n’y avoit la baron ne chevaliern qui osast aler au devant. Le chevalier disoit bien :

« “Haa ! Monseigneur ! Vous ne faictes pas gentillesce. Vous m’avez mandé et si m’occiez.”

« Toutevoieso il ot cinq coups d’une dague. Si commanda le conte qu’il feust mis en la fosse, et il le fu, et la mourut, car il fu povrement curezp de ses plaies.

– Haa ! Sainte Marie, di je au chevalier, et ne fu ce pas grant cruaulté ?

– Quoy que ce feust, respondi li chevaliers, ainsi en advint il. On s’avise bien de lui courrou­cier, mais en son courroux n’a nul pardon. Il tint son cousin germain le viconte de Chastelbonq, et qui est son heritier, .viij. moys en la tour a Or[ta]isr en prison, puis le raençonna il a .xl. mil franss.

– Comment, sire ? di je au chevalier, n’a donc le conte de Fois nul enfant, que je vous os dire que le viconte de Chastelbont est son heritier ?

 

  1. Le lecteur s’inquiète déjà quant au sort que réserve Fébus à son cousin.
  2. Raymond de Comminges, vicomte de Bruniquel.
  3. Roger de Comminges, frère de Raymond, vicomte de Couserans.
  4. Mathieu de Foix, vicomte de Castelbon, héritier du comté de Foix, avait épousé Jeanne d’Aragon, fille aînée du roi Jean 1er. Il devint comte de Foix à la mort de Gaston Fébus. † 1398. Sur les tendances homicides de Fébus : C. de Saulnier, «  Gaston Febus  :  de la violence contrôlée à la folie meurtrière  », dans La violence dans le monde médiéval, Centre Universitaire d’Études et de Recherches Médiévales d’Aix (Aix-en-Provence, 1994), 487-498.