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§ 1. Prologue1

Comment sire Jehan Froissart enqueroit dili­gemment comment les guerres s’estoient portees par toutes les parties de France.b

Je me sui longuement tenuc a parler des be­soignes des loingtaines marches, mais les prochaines tant qu’a maintenantd m’ont esté si fresches et si nouvelles et si enclinans a ma plaisance que pour ce les aye mis arriere ; mais pour tantf ne sejournoient pas les vaillans hommes qui se desiroient a avancier ens ou royaume de Castille et de Portigal, et bien autantg en Gas­coigne et en Roergue, en Quersin, en Auvergneh, en Lymosin et en Thoulousain et en Bigoire.

Mais visoient et soubtilloient tous les jours li un sur l’autre comment ilz se peussent trouver en parti de fait d’armesi, prendre, embler et eschelerj villes et chasteaulx et forteresces.

Et pour ce, je sires Jehans Froissars2, qui me sui ensoingnez et occupezk [201rb]l de dicter et escriprem ceste hystoire a la requeste et contem­plation den hault prince et renommé messire Guy conte de Bloys 3mon bono maistre et seigneurp, consideray en moy mesme que nulle esperance n’estoitq que aucunsr fais d’armes se feissent es partiess de Picardie et [de]t Flandresu, puis que paix y estoitv, et point ne vouloie estrew oyseux, car je sçavoiex bien que encore ou temps advenir sera ceste hystoire en granty cours, et y prendront tous noblesz hommes plaisance et exemple de bien faire, et vouloieaa sçavoir les longtainnes guerres aussi bien comme les prouchainnesab, m’avisay de treshault et puissant seigneur, monseigneur le conte de Foix4 et de Berneac5. Et bien sçavoie que se je pouoie venirad en son hostelae, je ne pourroie mieulx cheoir ou mondeaf pour estre informezag de toutes nouvellesah, car la sont et frequentent vou­len­tiersai tous chevaliers et escuiers estranges. Siaj remonstray ce voyageak a mon treschier et redoub­tez seigneur, monseigneural le conte de Bloys, li–

 

 

  1. Sur les prologues de Froissart : C. Marchello-Nizia, « L’his­torien et son prologue : forme littéraire et stratégies discurs­ives », dans La Chronique et l’histoire au moyen âge. Col­loque des 24 et 25 mai 1982, éd. Daniel Poirion, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne (Paris, 1986), 13-25, ainsi que L. Harf-Lancner, « De la prouesse du chevalier à la gloire du clerc : les prologues des Chroniques de Froissart », Presses de la Sorbonne Nouvelle, coll. « Seuils de l’œuvre dans le texte médiéval », études recueillies par E. Baumgart­ner et L. Harf-Lancner (Paris, 2003), 147-175.
  2. Au seuil du troisième Livre, Froissart se met résolument en scène comme narrateur, prenant en charge son récit et son hystoire. Il en deviendra aussi, bientôt, le personnage princi­pal.
  3. Guy II de Châtillon, comte de Blois (†1397), protecteur de Froissart. Fils de Louis de Châtillon et de Jeanne de Hainaut, il épousa Marie de Namur.
  4. Gaston III, comte de Foix, dit Fébus (†1391 ; fils de Gaston II de Foix et d’Aliénor de Comminges), à la cour de qui le chroni­queur se rendit en visite en 1388. Gaston naquit en 1331, succédant à son père en 1343. Le 4 août 1348 il épousa Agnès de Navarre, fille de Philippe, comte d’Évreux et de Jeanne, reine de Navarre, fille de Louis X de France (dit le Hutin). Il  mourut en 1391. Auteur d’un célèbre traité de cyné gétique intitulé le Livre de chasse, disponible sous forme de CD Rom (BnF, chez Montparnasse). Édition de luxe (texte en français moderne sur feuillets de papier de luxe, détachés ; illustrations en couleurs) : P. Tucoo-Chala, Gaston Fébus, Le Livre de Chasse, illustré par Dominique Pardigon, Arts et Couleurs, 2 volumes, sous emboîtages (Principauté de Monaco, 1996).
  5. Le Béarn, région située entre Chalosse, les Pyrénées et le Pays basque.