259v

[259va] tous les articles et poins dessusdiz qui sont tous veritables, car je, aucteura, en ay esté souffisam­ment informez par les nobles du royaume de Portingal, ce sont bien choses a esmerveillier de prendre et faire un bastart roy1, mais ilz n’y trou­voient nul plus prochain, et disoient li Portingalois – et encores dient – que la royne de Castille ma­dame Bietris, fille a madame Alienor de Cogneb, est bastarde et plus que bastarde par les condi­cions dessusdictes, ne que ja ne sera royne de Portingal, ne hoir qui descende de li. Et ceste opinion mist bien avant le conte de Fois a ses gens quant il les ot mandez a Ortais2, et il leur donna a disner et ilz prindrent congié a lui, car de toutes ces besoignes de Portingal et de Castille il estoit soufisamment enfourmez, et leur avoit dit :

« Seigneurs, demourez. Vous ne vous avez que faire d’embesoignier de la guerrec de Castille et de Portingal, car sachiez pour verité que le roy de Portingal ne la royne de Castille qui fu fille du roy Ferrant de Portingal n’ont nul droit a la cou­ronne de Portingal, et est une guerre commencie par estourdied et ennemie chose, si vous en pour­roit bien mesavenire, et ceulx qui s’en embesoi­gnerontf. »

Ses gens avoient respondu que puisqu’ilz avoient receu et prins l’argent d’un autel seigneur comme le roy Jehan de Castille, ilz l’iroient servir et desservirg. Le conte de Fois les laissa a tant ester, mais tout ou partie y demourerent, si comme vous avez dessus oÿ. Or retournons aux be­soignes de Portingal, car elles ne font pas a lais­sier, pour les grans faiz d’armes et entreprinses qui en sont issues, et pour historier et croniquier toutes choses adve– [259vb] –nues, afin que ou tempsh a avenir on les treuve escriptes et enregis­treesi, car se elles mouroient ce seroit dommage. Et par les clercs qui anciennement ont escript et enregistré les histoires et les livres sont les chosesj sceues, car il n’est si grant ne si beau memoire comme c’est d’escripture. Et veritable­ment je vous di, et vueil bien que ceulx qui ven­dront aprés moy sachent, que pour savoir la verité de ceste histoire et enquerre justement de tout, en mon temps j’en os beaucoup de paine et cerchay moult de paÿs et de royaumes pour le savoir, et en mon temps congneu moult de vaillans hommes et vi en ma presence, tant de France comme d’An­gleterre, d’Escoce, de Castille et de Portingal et des autres terres, duchiez et contez qui se sont conjoint, eulx et leurs gens, en ces guerres, aux­quelz j’en parlay et par lesquelz je m’enfourmay, et volentiers ne aucunement je n’eusse point passé une enqueste faite, de quelque païs que ce feust, sans ce que je eusse depuis l’enqueste faite bien sceuk que elle eust esté veritable et notable. Et pour tant que, quant je fu en Berne3 devers le gentil conte Gaston de Fois4, je fu enfourmez de pluseurs besoignes, lesquelles estoient advenues entre Castille et Portingal, et je fu retournez ou paÿs de ma nacion en la conté de Haynault5 et en la ville de Valenciennes6, et je m’y fu rafres­chi un terme, et ma plaisance me prinst a ouvrer et a poursuivir l’istoire que je avoie commencie, je me advisay par ymaginacion que justement ne le pouoie pas faire par avoir singulierement les parties de ceulx qui tiennent et soustiennent l’oppi­nion

  1. João 1er était, en effet, bâtard.
  2. Orthez, Pyrénées Atlantiques, arr. Pau.
  3. Béarn, appartenant au comte de Foix.
  4. Gaston III, comte de Foix-Béarn, 1343-91, dont Froissart fait le portrait plus tôt dans ce texte.
  5. Le comté de Hainaut, dont Froissart était natif.
  6. Valenciennes, dép. du Nord, chef-lieu de canton.