266v

[266va] Quant le roy en ot la possession, il y establi gens d’armes et gardes depar lui, et puis passa la riviere et vint devant la cité de Valence1 en Portingal, et la s’arresta et mist siege, et manda a ceulz de de­dens que ilz s’umiliassent enversa lui et le re­ceussentb a roy. Ceulz de Valence respondirent que il passast oultre et alast devant Lusebonne. Et sitost comme ilz pourroient savoir que il auroit mis – feust par amours ou par puissance – les Luse­bonnois a obeissance, il lui envoieroient les clefs de la ville. Ceste response plust assez bien au roy, et se parti de Valence et vint devant la ville de Maures2, lesquelz aussi se composerent3 si comme firent ceulz de Valencec, aussi firent sem­blablement ceulz d’une cité que on nomme Serp4 qui est moult forte et moult belle, ou le roy de Castille vouloit venir, mais quant il ot entendu que ilz se composoient ainsi que les autres, il fu content et n’y ala point mais prinst le chemin de Lusebonne et laissa le chemin de Connimbresd 5, car il lui sembla – et voir estoit – que se il pouoit mettre ceulx de Lusebonne en son obeissance, il auroit aisieement tout le demourant du païs. Et quel part que le roy d’Espaigne6 alast, il menoit la royne sa femme avecques lui pour miex mons­trer aux Portingalois que le droit estoit sien et que a bonne et juste cause il conqueroite l’eritaige de sa femme.

« Tantf 7 exploita le roy Jehan de Castille atout son ost que il vint devant la cité de Luse­bonne en Portingal. Si l’asiegea grandement et monstroit bien par son siege que point ne s’en partiroit, si l’aroit tournee a sa volenté, et menaçoit aussi grandement [266vb] [le] maistre [d’Avis] qui dedens estoit encloz, et disoit bien que il le pren­droit et puis le feroit mourir de male mort, et tous les rebelles aussi. Moult estoit l’ost du roy d’Es­paigne grant et estendug, car moult y avoit de peuple. Et avoient les Espaignolz et les François qui la estoient en l’aide du roy d’Espaigne la cité enclose et advironnee par tel maniere que nul n’en pouoit issir ne entrer que il ne feust prins et tantost mort. Et avenoit a la foiz que, se par escarmouche ou autrement les Espaignolz prenoient un Portin­galois, ilz lui crevoient les yeulx ou lui tol­loient un pié ou un bras ou un autre membre, et le ren­voioient ainsi meshaigné en la cité de Lusebonne et disoienth a cellui que ilz renvoioient :

« “Va et di ce que nous t’avons fait, c’est en despit des Lusebonnois et de leur maistre [d’Avis] que ilz veulent couronner a roy. Et bien sachent que nous serons tant ci a siege que de force nous les aurons ou par famine ou autrement, et tous les ferons mourir de male morti et mettrons la cité en feu et en flambe, ne ja pitié ne merci n’en aurons.”

« Et quant li Lusebonnois prenoient un Castel­loingj, ilz ne faisoient pas ainsi, car le roy de Portingal qui est a present le faisoit tenir tout aise et puis le renvoioit sans violence de corps ne de membre, dont ilz disoient en l’ost les aucuns que il lui venoit de grant gentillesce, car il rendoit bien pour mal8. Et vous di que, le siege estant devant Lusebonne qui dura plus d’un an9, toutes les sepmaines il y avoit une ou deux escarmouches de faiz

  1. Valença de Minho, séparé de Tuy par la rivière Minho.
  2. Peut-être Moura.
  3. C’est-à-dire : « traitèrent ».
  4. Serpa (pas loin de Moura).
  5. Coïmbra.
  6. Depuis bien des années, les Français s’étaient trouvés du parti castillan en vertu de leur politique anti-anglaise, et comme partisans du pape Clément, dont le rival, Urbain VI, était soutenu par l’Angleterre et par le Portugal.
  7. Ce deuxième récit de Fougasse se poursuit…
  8. Encore un gage, au point de vue des Portugais, du carac­tère authentiquement royal de leur nouveau roi, tout illégitime de naissance fût-il…
  9. Froissart exagère. Lisbonne subit deux sièges, un par mer (du 26 mai au 26 octobre, 1384), l’autre par terre (du 29 mai au 3 septembre, 1384).