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[205va] et manda ou païsa de Berne et en la haulte Gascoigne grant foison de compaignonsb aventu­reux pour aidierc a faire la guerre ; et se bouterent la dedensd moult d’apertes gens aux armese. Et estoient .vj. capitaines avecques lui, et chascun avoitf cinquante lances1 ou plus des­soubz luig. Tout premierh son frere Jehan de Berne2, un moult appert escuier, Pierre d’Au­chin3 de Bigorre, frere germain au seigneur d’Auchin – cil ne se voulti onques tourner françois –, Ernaudon de Sainte Coulombej 4, Ernauldon de Rostem5, le Mongat de Sainte Basillek 6 et le bourc de Carvelacl 7.

Ces capitainesm si firentn en Bigorre, en Thoulousain, en Carcassonnois8 et en Abbi­goizo 9, pluseursp courses et envahiesq, car sitost comme ilz estoient hors de Lourde, ilz se trouvoient en terre d’ennemisr, et se croisoients en courant et en chevauchant le païs, et se met­toient, telt foiz estoit, a l’aventure pour gaignieru trente lieues dev leur fortw ; en alant ilz ne pre­noient riens, mais au retourx riens ne leur escha­poit, et adme­noienty, telz foiz estoit, si grant bestailaa et tant de prisonniers que ilz ne les sa­voient ou logierab, et raençonnoient tout le païs10 excepté la terre au conteac de Fois, mais en celle ilz n’osaissent pasad prendre une poule sans paierae, ne sur homme qui feust au conte de Fois, ne qui eust son conduit11, car s’ilz l’eussent cour­rouciéaf ilz n’eussent point duréag.

Cil compaignonah de Lourde avoient trop beau courir ou ilz leur plaisoitai, et chevauchier. Assez pres de la, si comme je vous ay dit, sietaj la ville de Tharbeak que ilz tenoiental en grant doubte, et tindrent tantam que ilz se mirent en patti a eulxan. En revenantao de Tharbe a leur fort siet un grant vil­lageap et une bonne abbaie ou ilz firent moult de maulx, que on appella Guiorsaq 12, mais ilz se mirent en patti13 a [205vb] eulxar. D’aultre part, sur la riviere de Lisse, siet une grosse ville fer­meeas que on appelle Bagnieres14. Ceulz d’icelle villeat avoient trop fort temps, car ilz estoient heriez et guerroiezau de ceulx de Lourde, et de ceulx de Mauvoisin qui leur estoient encores plus pro­chainav.

Cil chastelaw de Mauvoisin siet surax une mon­taigneay, et dessoubz queurt la riviere de Lisseaz qui vient ferir a une bonne ville fermee qui est moult pres de la, que on appelle Tournayba 15. Les gens de Tournay avoient tout le trespasbb de ceulx de Lourde et de ceulx de Mauvoisin16. A celle villebc de Tournay ne faisoient ilz nul mal ne nul dommaige pour tant que ilz avoientbd la leur re­tourbe et leur passage. Et aussi les gens de la villebf avoient bon marchiébg de leur pillage, et si savoientbh moult bien dissimuler avecques eulx ; faire leur couvenoitbi se ilz vouloient vivrebj, car ilz n’estoient aidié ne conforté de nulluibk.

Le cappitaine de Mauvoisin estoit Gasconbl et avoit nombm Raymonnés de l’Espeebn 17, appert homme d’armes durementbo. Et vous di que ceulz de Lourde et de Mauvoisin raençonnoient [autant] bienbp les marchans du royaume d’Arragon et de Casteloigne comme ilz faisoient les François, se ilz n’estoient a pattis a eulxbq.

Enbr ce tempsbs que je emprins a fairebt mon chemin et de alerbu deversbv le conte de Fois, pour tant quebw je ressoignoie la diversité du païsbx ou je n’avoie onques esté ne entréby, quant je me fuz partis debz Carcassonne18 je laissay le chemin de Thoulouse19 a la bonne main et prins le cheminca a la main senestrecb et vinscc a Montroialcd 20 et puis a Fougensce 21, et puis a Bellepuiscf 22, la premiere ville fermee de la conté de Foyscg, et de la ach Maiseres23 ci, et puis

 

  1. Une lance comprenait normalement un chevalier portant la lance, un coutelier, un page, un valet et quelques archers, mais le sens est peut-être ici « gens d’armes ».
  2. Jean de Béarn, capitaine de Lourdes successivement pour les Anglais et les Français ; désigné sénéchal de Bigorre en 1388.
  3. Pierre de Bigorre, frère du seigneur d’Antin.
  4. Arnauton de Sainte-Colomme (dans les Basses-Pyrénées), l’un des capitaines de Lourdes, qui servit le comte de Foix.
  5. Ramon-Arnaud de Rostan, chef de compagnie.
  6. Le Mongat de Sainte-Bazeille (dit aussi le Mongat de Lourdes), capitaine de Lourdes.
  7. Le Bourc de Cardeilhac, qui servait le comte de Foix.
  8. Le Carcassonnais, région de Carcassonne, chef-lieu de département (Aude).
  9. L’Albigeois, région de plateaux dominant le Tarn.
  10. Froissart évoque ici ce que voulait dire la guerre pour les populations rurales : vols et rapine chez les paysans, et perte de leurs animaux et cultures. Voir J. Sumption, Trial by Fire. The Hundred Years War II, Faber & Faber (London, 1999), ch. VIII « The Companies » ; C. Allmand, « War and the Non-Combatant in the Middle Ages », dans M. Keen (éd.), Medi­eval Warfare, Oxford University Press (Oxford, 1999), 253-72 ; et N.A.R. Wright, Knights and Peasants : The Hundred Years War in the French Countryside (Woodbridge, 1998).
  11. C’est-à-dire, son sauf-conduit.
  12. Saint-Pé-de-Geyres (Hautes-Pyrénées), sur la rive droite du gave de Pau.
  13. « Appatis » ou « patis » : somme extorquée à une com­mun­auté contre obtention d’un sauf-conduit (ou d’une « pro­tection ») de la part des compagnies.
  14. Bagnères-de-Bigorre sur l’Adour, chef-lieu d’arrondisse­ment (Hautes-Pyrénées).
  15. Tournay, chef-lieu de canton (Hautes-Pyrénées), bastide fondée en 1307.
  16. Mauvezin (Hautes-Pyrénées).
  17. Raymonnet de Lespés, ou Ramonet d’Aspet, capitaine de compagnies.
  18. Sur l’Aude et le canal du Midi, chef-lieu de département (Aude).
  19. Toulouse, sur la Garonne, chef-lieu de département (Haute-Garonne), capitale du Languedoc.
  20. Montréal-de-l’Aude (Aude).
  21. Fanjeaux, chef-lieu de canton (Aude).
  22. Belpech, chef-lieu de canton (Aude).
  23. Mazères, chef-lieu de canton (Ariège).