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[236ra] ne leur couvenant. Quant ce tant d’Angloiz qui la estoient entendirent que on chevaucheroit, et que on iroit vers Saint Irain ou le roy de Castille et ses gens estoient, si en furent trop grandement resjouysa. Adonc firent toutes gens appareill[ie]r leurs armeures, et cilz archiers leurs ars et leurs saiettes, et tous les autres selon ce que il leur besoignoit. Et se par­tirent a un jeudi aprés boire de la cité de Luse­bonne, et se mistrent sur les champs, et se lo­gierent ce jour sur une petite riviere a deux lieues de Lusebonne. Le roy et tout son ost aians les visaiges vers Saint Irain, disoient tous de grant volenté que jamais en Lusebonne ne retourne­roient, si aroient veüz leurs ennemis, et que mieulx leur valoit que ilz enva­hissent et requeissent a leurs ennemis la batailleb, que leurs ennemis venissent sur eulx, car on en avoit veü pluseurs signifiancesc des requerans et des non requerans, et que contre .v. les quatre requerans avoient obtenu place, et que pres toutes les victoires que les Angloiz avoient eu en France sur les François1, ilz l’avoient requis, et que on est par nature plus fort et mieulx encouragié en assaillant que on ne soit en defendant. De ceste opinion estoient ilz tous ou en partie, et en faisoient la exemple aucuns des bourgoys de Lusebonne, et disoient ainsi :

« Nous estions, en ce temps que li Gantois vindrent devant Bruges requerre et combatre le conte de Flandres2 et sa puissance, en la dicte ville3. Et savons bien que par Phelippe d’Arte­velle4, Pietre du Bos5, Jehan Cliquetiel6, François Acremen7 et Pietre le Muttre8 qui estoient lors les capitaines des Gantois, n’emme­nerent hors de Gand ne ne mistrent que .vijm. hommes, [236rb] de quoy ces .vijm. hommes en requerant bataille de leurs ennemis en descon­firent .xlm. – c’est chose toute veritable – ne onques n’y ot traïson, fors la bonne fortune et aventure qui fu pour les Gantois. Et estoient li Gantois, au jour de la bataille qui fu par un samedi devant Bruges, a une grosse lieue pres, si comme nous leur oïsmes dire le lendemain quant ilz eurent conquis Bruges. Si se confortoient entr’eulx autant du perdre que du gaignier. Et aussi devons nous faire se nous voulons faire bon exploit d’armes. »

Ainsi se deduisoientd li Lusebonnois ce jeudi l’un a l’autre, dont le roy quant il fu enfourmez de leurs paroles et de leur grant confort, il en ot grant joye a son cuere.

Quantf ce vint le vendredi9 au matin on sonna les trompetesg en l’ost du roy de Portingal. Tous s’appareillierent et ordonnerent, et prindrent le chemin a destre suivant la riviere et le plain paÿs pour le charroy qui les suivoit et leurs pour­veances, et cheminerent ce jour quatre lieues. Nouvelles vindrent au roy de Castille ce vendredi au matin, la ou il se tenoit a Saint Irain, que les Portingalois et le roy Jehan que ceulx de Luse­bonne avoient couronné estoient hors de Luse­bonne et chevauchoient vers li. Ces nouvelles s’espandirent tantost parmi leur ost, dont eurent Espaignolz, François [et] Gascoingsh moult grant joie, et distrent entr’eulx :

« Vela en ces Lusebonnois vaillant gent quant ilz nous viennent combatre. Or tost, mettons nous sur les champs et les encloöns se nous pouons avant qu’ilz retournent en leur villei, car se nous pouonsj, jamais pié ne retournera en Luse­bonne. »

Adonc fu ordonné et publié parmi l’ost a trompetes que le samedi10 au matin on feust tout prest a pié et a cheval, et que le roy partiroit

  1. Allusion aux victoires des Anglais sur les Français à Crécy, Poitiers et ailleurs. Dans le récit qui suit, Froissart donne l’impression de considérer les Anglais militairement supérieurs aux Français.
  2. Louis de Male, mort en 1384.
  3. Ces événements eurent lieu en mai 1382 (voir notre édition du Livre II des Chroniques dans la collection « Lettres Gothiques » (2001), 860-9 (désormais LG 1).
  4. Fils de Jacques, il devint capitaine de Gand dans la révolte de 1380, prenant le titre de rewaert (régent) en janvier 1382. Tué à la bataille de West-Roosebeke (1382).
  5. Pierre du Bois, l’un des capitaines de Gand pendant la révolte contre le comte de Flandre, et associé de Jan Yoens.
  6. Jean Criekensteen, échevin et capitaine gantois ?
  7. François Ackerman, capitaine de Gand en 1381 et amiral de Flandre.
  8. Pierre de Muiter, l’un des capitaines gantois.
  9. Dimanche
  10. Lundi.