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[217va] puissans et qui sentoient le roy leur sire jeune et embesoignéa grandement pour les be­soignes de son oncle le duc de Bourgoigne es parties de Flandresb, et se veoient pilliezc et tra­veilliez de Bretons et de pillarsd, tant qu’ilz ne savoient qu’ilz peussent ou deussent faire, si en­voierent et traittierent devers le conte de Fois en lui priant parmi une somme de florins que tous les moys ilz lui delivreroient, que il voulsist emprendre le gouvernement et la gardee de leur cité de Thou­louse et du païs thoulousain, et aussi des autres villes, se priez et requis en estoitf. Si le prioient ainsi pour tant qu’ilz le sentoient juste homme droiturier et fort justicier, et moult redoubtég de ses ennemis, et bien fortuné en ses besoignes. Et aussi ceulx de Thoulouse l’ont tousjours grande­ment amé, car il leur a esté moult propice et bon voisin. Si prinst la charge de ce gouverne­ment, et jura a tenir et a garder le paÿs en son droit contre tout homme qui mal y vouldroit et feroit, mais il reserva tant seulement la majesté royal du roy de France. Et lors mist il foison gens d’armes sur le païsh et fist ouvrir et delivrer les chemins de larrons et de pillarsi, et en fist en un jour que pendre que noier a Rabestenj en Thoulousain plus de quatre cens, pourquoy il acquist telement et si grande­ment la grace et l’amourk de ceulx de Thoulouse, de Carcassonne, de Besiers1 et de Montpeslier et des autres bonnes villes la environ, que renom­mé courut en France que ceulx de la Langue d’Oc s’estoient tournez et que ilz avoient prins a sei­gneur le conte de Fois.

« Le duc de Berry, qui en estoit souverainl, prinst en grant desplaisance ces nouvelles, et en accueilli le conte de Fois en grant hayne pour tant que il s’embesoignoitm si avant des besoignes de France, et vouloit tenir ceulx de Thou– [217vb] –louse en leur rebellion. Si envoya gens d’armes ou paÿs, mais ilz furent durement recueillis et repoussezn des gens du conte de Fois, et tant qu’ilz les couvint retraire, voulsissent ou non, ou ilz eussent plus perdu que gaignié. De ceste chose s’enfelonna telement le duc de Berry sur le conte de Fois, que il disoit que le conte de Fois estoit le plus orgueilleux et le plus presompcieux chevalier du monde, et n’en pouoit le dit duc oïr parler en bien devant lui. Mais point ne li faisoit de guerre, car le conte de Fois avoit tousjours ses villes et ses chasteaulx si bien garnis et pourveuz que nul n’osoit entrer en sa terre. Aussi, quant le duc de Berry vint en la Langue d’Oc, il se deporta de son affaireo et n’en voult plus en riens excercer par dessus le duc de Berry, mais depuis jusques a ores le contemptp y a esté moult grantq.

« Or vous vueil je recorder par quel moien la paix y a esté mise et nourrier. Il puet avoir environ .x. ans que Alienor de Comminges2, contesse a present de Bouloigne et cousine moult prochaine du conte de Fois et droite heritiere de la conté de Comminges, combien que le conte d’Ermignach la tiengnes, vint a Ortais devers le conte de Fois, et faisoit admener en sa compaignie une jeune fillet de trois ans. Le conte, qui est son cousin, li fist bonne chiere, et lui demanda de son affaire com­ment il lui en estoit, et ou elle aloit.

« “Monseigneur, dist elle, je m’en vois en Arragon devers mon oncle et ma bell’anteu, le conte d’Urgel3. Et la me vueil tenir, car je preng grant desplaisance a estre avecques mon mari messire Jehan de Bouloigne4, filz au conte de Bouloignev 5, car je cuidoie qu’il deust recouvrer mon heritaige de Comminges devers le conte d’Armignach

 

  1. Béziers, chef-lieu d’arrondissement (Hérault).
  2. Éléonore, qui épousa Jean II, comte d’Auvergne et de Boulogne en 1374. La fille unique issue de ce mariage fut Jeanne de Boulogne qui, toute jeune, épousa Jean, duc de Berry, en 1389.
  3. Pierre d’Aragon, comte d’Urgel. Sa mère fut Cécile de Comminges.
  4. Jean II, comte d’Auvergne et de Boulogne.
  5. Jean 1er, son père. † 1374.