[206ra] au chastel de Savredun1; et puis vins a la belle et bonne cité de Paumiersa 2, la queleb est toute au conte de Fois, et la m’arrestay pour attendre compaignie qui alast a Bernec ou le dit conte se tenoit. Quantd j’euze sejourné en la cité de Paumiersf trois jours, la quele cité est moult desduisant, car elle sietg en beaux vignobles et bons et a grant plantéh, et est advironneei d’une belle riviere et clerej et large assez que on appelle l’Aliegek 3, en ce jourl me vint d’aventurem un chevalier de l’ostel du conte de Foizn qui retournoito d’Avignon4, le quel s’appelloitp messire Espaeng de Lyon5, vaillant homme et sage, et beau chevalier, et pouoit lorsq estrer en l’aages de cinquante ans. Jet me mis en sa compaignie – il en ot grant joye – pour savoiru des besoignes de France. Et feusmes six joursv 6 sur le chemin ainçois que nous venissions a Or[t]ais. En chevauchant, le gentil chevalierw, puisx que il avoit dit au matiny ses oroisons, il se desduisoitz le plus du jouraa a moy en demandant nouvelles. Et aussi quant je lui en demandoieab, il m’en respondoitac. Au departir de la cité de Paumiersad, nous passasmesae le mont de Cesse7 qui est moult traveilleux et malaisié a monteraf, et passasmes delez la villeag et chastelah de Ortingasai qui est du royaj de France, etak point n’y entrasmes, mais venismes disner a un chastel du conte de Foisal qui est demie lieueam pardelaan, que on appelle Carlacao 8, et sietap hault sur une montaigne.
Aprés disner le chevalier me dist :
« Chevauchons ensemble tout souef. Nous n’avons que deux lieues de ce païs – elles valent bien trois de France – jusques a nostre giste. »
Je respondi :
« Je le vueil. »
Or dist li chevaliers :
« Messire Jehan, nous avons huyaq passé devant le chastel [206rb] de Ortingas, qui porta le terme de cinq ansar que Pierre d’Auchin le tint, car il [l’]embla et fist dommaige au royaume de France de soixante mil fransas.
– Et comment les eust il ? di je au chevalier.
– Je le vous dira[y], dist il. Le jour de la Nostre Dame en mi aoust a une foire en celle ville ou tout le païs se resconseat, et y a moult de marchandises pour un jourau. Pierre d’Auchin et sa charge de compaignons, qui se tenoient a Lourde, avoient getté leur advis des longtemps a prendre ceste ville et le chastel, et n’y savoient comment avenir. Toutefoiz ilz avoient deux de leurs varlés, simples hommesav par semblance, envoiez tres le mayaw a l’aventure pour trouver services et maistres en la ville ; et le trouverent tous deux et furent retenuz. Et estoient ces deux varlés de trop beau service plains envers leurs maistres, et aloient hors et ensax besoignier et marchander, ne on n’avoit nulle souspeçonay d’eulx. Advint que, ce jour de la mi aoust, il y avoit grant foison de marchans estrangiersaz de Fois, de Berne [et] de France en celle ville. Et vous savez que marchans, quant ilz se treuvent ensemble et ilz ne se sont veüz de grant temps, boivent par usaige largement et longuement pour entre eulx faire bonne compaignieba. Dont il advint que, es hostelz des maistres ou ces deux varlés demouroient, il en y avoit grant foison, et la buvoientbb et se tenoient tout aaisebc, et li seigneur de l’ostel et leurs femmesbd avecques eulx.
« Sur le point de mienuit, Pierre d’Auchin et sa route vindrent a Ortingas, et demourerent derriere en un bois, eulx et leurs chevaulx, ou nous avons passébe, et envoierent .vj. varlés et deux eschielles a la ville, et passerent cil varlet oultre les fossez ou on leur avoit enseigniébf au moins parfont, et vindrent aux murs et la drecierent leurs eschieles ;
- Saverdun, chef-lieu de canton (Ariège).
- Pamiers, chef-lieu d’arrondissement (Ariège).
- L’Ariège, rivière née dans les Pyrénées.
- Avignon, sur le Rhône, chef-lieu de département (Vaucluse) : siège de la papauté de 1309 à 1378 et, après cette date, siège des deux premiers papes « clémentins », Clément VII et Benoît XIII.
- Espan de Lion, compagnon de voyage de Froissart, au service du comte de Foix.
- Plutôt huit jours.
- Escosse (Ariège), montagne près de Pamiers.
- Carla-Bayle, cant. Le Fossat (Ariège).