Online Froissart
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pb 1 r Cy commence le premier livre des croniques de maistre Jehan Froissart SHF 1B-0 sync Prologue

Afin que les grans merveilles et les beaux faiz d’armes qui sont advenuz par les grans guerres de France et d’Angleterre et des roiaumes voisins dont les roys et leurs consaulx sont cause, soient notablement registrés, et ou tamps present et a venir veüz et cogneuz, je me veulx ensonnier de l’ordonner et mectre en prose, selonc la vraye information que j’ay eu des vaillans hommes, chevaliers et escuiers qui les ont aidees a acroistre. Et aussi d’aucuns roys d’armes et leurs mareschaulx, qui par droit sont et doivent estre enquereurs et raporteurs de telles besoignes. Vray est que messire Jehan le Beaux, jadiz chanoine de Saint Lambert de Liege, en fait et cronna a son temps aucune chose a sa plaisance. Et j’ay ce livre ystoirié et augmenté a la mienne et a la relation et conseil des dessus diz, sans faire fait, ne porter partie, ne colourer l’un plus que l’autre, fors tant que les biensfaiz des bons, de quel païs qu’ilz soient, qui par prouesse l’ont acquis, y sont plainnement veüz et cogneuz. Car de l’oblier ou epuiser, ce seroit peché et chose mal appartenant. Car exploix d’armes sont si cherement comparéz et achaptéz, ce savent ceulx qui y travaillent, que nulz n’en doit nullement mentir pour complaire a autruy, et tollir la gloire et renommee des biensfaiz, et donner a ceulx qui n’en sont mye dignes.

¶ Or ay je mis, en mon premier chief de mon proheme, que je veulx parler et traicter des grans merveilles. Voirement se pourroit et devroit bien tout celui qui ce livre liroit et verroit, esmerveiller des grans merveilles qu’il y trouveront. Car je croy que, depuis le creation du monde, et que on se commança premierement a armer, on ne trouveroit nulle ystoire ou il y eust tant de merveilles ne de grans faiz d’armes, selon sa quantité, comme ilz sont advenuz par les guerres dessus dictes, tant par terre comme par mer, et dont je vous feray savoir en ensuivant mon intention. Mais ançois que je commance a parler, je veulx ung petit tenir et mener le propoz de proesse. Car c’est une si noble vertu, et de si grant recommandation, que on ne le doit mye passer briefvement. Car elle est mere naturelle et lumiere des gentilzhommes, et, si comme la busche ne peut ardoir sans feu, ne peut venir le gentilhomme a parfait honneur ne a la gloire du monde, sans prouesse.

¶ Or doivent donc tous jeunes gentilzhommes, qui se veulent avancer, avoir ardant desir d’acquierre le fait et renommee de proesse, par quoy ilz soient mis ou compte et compté des preux, et regarder et considerer comment leurs predecesseurs, dont ilz tiennent leurs hiretaiges et portent espoir les armes, sont honnourés et recommendés par leurs biensfaiz.

¶ Je suis seür que, s’ilz regardent et lisent en ce livre, qu’ilz trouveront autant de grans faiz et de belles apertises d’armes, de dures rencontres, de fors assaulx, de fieres batailles et de toutes autres manieres d’armes qui descendent des membres de proesse, que en nulle ystoire dont on puisse parler, tant soit ancienne ou nouvelle, et ce leur sera example et matiere d’eaulx corriger en bien faisant. Car la memoire des bons et le recors des preux ahatissent et enflamment par raison les cueurs des jeunes bacheliers, qui tirent et tendent a toute perfection d’onneur, de quoy proesse est le principal chief et le certain ressort. Si ne veul je mye que nulz bacelers soit excusés de non soy armer et suyvir les armes par faulte de mise et de chevance, s’il a corps et membres abiles et propices a ce faire, mais je veulx qu’il les aharde de bon couraiges et prende de grant volenté, et il trouvera tantost des grans et haultz seigneurs pb 1 v