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[265va] apparant ou paÿs de Portingal que les communaul­tez couron­neroient a roy1, se on ne leur aloit audevant, [le] maistre [d’Avis], et que ja pour celle cause avoient ilz occis son chevalier Jehan Ferrant Andere pour tant que il soustenoit, et avoit tous­jours soustenu, la querelle du roy de Castille. De tout ce que la damea dist elle fut bien creue, car on en veoit l’apparent, et aussi pluseurs chevaliers et hault baron qui avoient plus leur affeccion au roy de Castille pour la cause de la fille au roy Ferrant, et pour aussi tenir et garder les seremens solen­nelz que ilz avoient faiz au roy de Castille a la requeste du roy de Portingal, quant il donna par mariage sa fille au roy de Castille, si s’en vouloient acquitter, se deportoientb du royaume de Portingal et s’en venoient en Castille et laissoient leurs terres et leurs heritaiges sur l’aventure et espoir du retourner, et tout premierement le conte Alephon­serole2, le grant prieur de Saint Jehan de Portin­gal3, messire Dilgaree son frere4, Ange Sal­vasse de Geneve5, Jehan Ansalle6 et bien eulx .xxv., desquelz le royaume de Portingal a ce commencement fu grandement afebloié, et le roy de Castille resjoïs et renforciezc. Si fist un com­mandement le roy de Castille par tout son royaume, tresgrant et tresespecial, que tous nobles et gens portans armes entre .xv. et .lx. ans venissent ou champ de Sebille, car il vouloit de fait et de puissance entrer ou royaume de Portingal comme sur son propre heritaige, et le conquerre. A son com­mandement obeïrent, ce fu raison, tous ceulz qui de lui tenoient, et s’en vindrent ou champ de Sebille et la s’assemblerent, et furent bien soixante mil hommes que uns que autres. [265vb]

« Quantd messire Jehan Leurens de Coigne, le chevalier de Portingal qui marié avoit esté, et encores estoit, a dame Alienor que le roy Ferrant de Portingal avoit prins a femme et fait royne de Portingal, entendi que sa femme estoit venue hors de Portingal et traittee en Castille, si se traist de­vers aucuns du conseil du roy de Castille dont il estoit moult bienf, et leur demanda et dist en soy conseill­ant a eulx,

« “Messeigneurs et grans amis, comment me pourray je chevirg de Alienor ma femme qui est issue de Portingal et venue en ce païs ? Je sçay bien que le roy Ferrant la prinst de force oultre sa volenté. Or est advenu que le roy Ferrant est mort, si comme vous savez. Par raison je doy ravoir ma femme, et la conquerrayh se vous le me conseill­ez.”

« Ceulx respondirent a qui il en parloit, et par le quel conseil il vouloit user, et lui distrenti :

« “Jehan, ja ne vous adviengne que nul semblant vous faciez du demander ne ravoir ne reprendre, car vous vous forferiez trop grandement et abaisseriez la dame de son honneur, et aussi la royne de Castille, et la feriez plus que bastarde. Vous savez que ja le roy de Castille veult deman­der et conquerrej comme son propre heritaige retournant a li le royaume de Portingal, et claime ce droit depar sa femme. Vous esclarciriez ce qui est en troublek et dont on ne se donne de garde. Vous vous metriez a mort et jugeriez de vous meismes se vous faisiez la royne de Castille bas­tarde, car on soustient en ce paÿs la cause et la querelle que

  1. Le texte souligne l’importance des villes dans les événe­ments de cette année, et en particulier lors des Cortes réunies à Coïmbra, mars-avril 1385.
  2. Froissart songe peut-être à Afonso de Merlo, comte portugais, mais il est tout aussi bien possible qu’il pense ici à João Afonso Telo, comte de Barcelos, père de la reine Leonor…
  3. Pedro Alvares Pereira, frère du connétable portugais Nuño Alvares Pereira et prieur de l’Hôpital-Saint-Jean et Maître de Calatrava, mort à Aljubarrota en 1385.
  4. Diego Alvares, lui aussi mort à Aljubarrota.
  5. SHF XII, p. lxi, donne pour ce personnage « Ange Avrez » ; il s’agit peut-être de Gonçalo Vasques de Azevedo, mais Buchon et Kervyn De Lettenhove préfèrent tous deux : Alphonse Gomez de Sylva.
  6. Il s’agirait de Jean d’Annesley (Kervyn De Lettenhove) ou peut-être (suggestion de M. Monteiro) de João Gonçalves Teixeira.