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[208va] un et un ilz issoient. Et la estoit sur le chemin le conte de Fois, armez, et toutes ses gens, et en ordenance de bataille. Et ainsi que cilz issoient, ilz trouvoient qui les requelloit et amenoit devers le conte. La les departi le conte en pluseurs lieux, et les envoia en pluseurs chastelleriesa et senescha­cies ; et son cousin messire Jehan d’Armignac, et messire Bernard de Labreth, mes­sire Manant de Barbesen, messire Raimon de Benach1, messire Benedic2 de la Cornille et environ eulx .xx. des plus notables, il envoya avec­ques lui en Ortais. Et en ot, ainçois qu’ilz lui es­chappassent, cent mille frans deux foizb.

« Par tele maniere que je vous di, beau maistre, fu ce mur que vous vëez despeciez pour ceulx d’Armignac et de Labreth, et depuis fu il refaiz et reparezc. »

A ces motz retournasmes nous a l’ostel et trouvasmes le soupper tout prestd, et passasmes la nuite; et au lendemain nous nous meismesf a che­val et chevauchasmes tout contremont la Ga­ronne et passasmes parmig Palamininchh, et puis entr­asmes en la terre le conte de Comminges et d’Armignach au lezi devers nous, et d’autre part la Garonne siet, qui est la terrej au conte de Foisk.

En chevauchant nostre chemin, me monstra le chevalier une ville assez forte et bonne par semblant, qui s’appelle Marteras le Toussacl 3, la quele est au conte de Comminges. Et d’autre part la riviere, sur les montaignesm, me monstra il deux chasteaulx qui sont au conte de Fois, dont li uns s’appelle Montmirail4 et l’autre Monclare5. En chevauchant entre ces villes et ces chasteaulx, selon la riviere de Garonne en une moult belle praerie, me dist li chevaliers :

« Messire Jehan, je ay cy veü pluseurs fois de bonnes escarmouches et de durs, et de bons rencontres de Foissois6 et d’Erminages7, car il n’y avoit ville ne chastel qui ne feust pourveue et [208vb] garnie de gens d’armes. Et la couroient et chassoient li un sur l’autre, et la dessoubz vous en vëez les masures. Si firent li Hermignages a l’en­contre de ces deux chasteaulx une bastide, et la gardoient les hommes d’armes, et faisoient moult de maulx par deçan la riviere en la terre du conte de Fois, mais je vous diray comment il leur e[n] prinsto.

« Le conte de Fois y envoia une nuit son frere messire Pierre de Berne atout deux cens lances, et admenoient en leur compaignie bien quatre cens villainsp tous chargiez de fagoz. Si appuierent ces fagos contre celle bastide, et encores grant foison de bois que ilz coupperent en ces haies et en ces buissons, et puis bouterent le feu dedens. Si ardirent la bastide et tous ceulx qui dedens estoient, sans nul prendre a merci. Onques depuis nul ne s’i osa ramordreq. »

En telz paroles et devises nous chevau­chasmes tout le jour contremont la riviere de Ga­ronne, et vey d’une part et d’autre la riviere plu­seurs beaux chasteaux et forteresces ; tous ceulx qui estoient par dela a la main senestre estoient pour le conte de Fois, et cilz depar çar devers nous estoient pour le conte d’Armignach. Et pas­sasmes a Mont Pesath8, un tresbeau chastel et tresfort seant hault sur une roche, et dessoubz est le chemin et la ville. Au dehors de la ville, le trait d’une arbalestres, a un pas que on dit A la Garde, est une tour sur le chemin entre la roche et la riviere, et dessoubz celle tour sur le passage a une porte de fer coulice, et pourroient .vj. per­sonnes garder ce passage contre tout le monde, car ilz n’y pevent que deux chevauchier de front pour l’occu­pacion de la roche et de la

 

  1. Raymond de Bénac de Bigorre portait le titre de seigneur de Lanne ; il fut retenu dans le service du duc d’Anjou.
  2. Benoît de la Cornille servit dans l’armée du comte d’Ar­magnac.
  3. Martres-Tolosane, cant. Cazères-sur-Garonne (Haute-Garonne).
  4. Mauran, cant. Cazères-sur-Garonne (Haute-Garonne).
  5. Montclar-de-Comminges, cant. Cazères-sur-Garonne (Haute-Garonne).
  6. Fuxeens.
  7. Armagnacs.
  8. D’après P. Tucoo-Chala (Gaston Fébus, prince des Pyrénées, p. 177 : plan du système fortifié entre Foix et Béarn), le château fort de Montpezat se trouvait au nord-ouest et presque en face de Montsaunes, et au nord-est de Montes­pan, donc dans les environs de Castillon de St Martory ou des Assivets. À noter que le village de Mancioux, quelques kilo­mètres au nord-est sur la rive droite de la Garonne dépen­dait des seigneurs qui possédaient le château de Montpezat (donc de Fébus) et disposaient d’un droit de passage sur tous les radeliers de la Garonne.